Un agent de la Garde républicaine (GR), qui était au cœur du massacre post-électoral, s’est confié à Matin d’Afrique, la veille du triste anniversaire.
Un après-midi d’août à Libreville. Le soleil darde ses rayons sur la ville. En cette fin du mois, le climat semble tendu dans la capitale gabonaise. Plusieurs familles tirent le diable par la queue. Elles ont le gousset vide. C’est dans ce climat morose que les opposants au régime d’Ali Bongo s’apprêtent à commémorer le 2ème anniversaire du massacre post- électoral qui a coûté la vie à plusieurs dizaines de personnes. Par devoir de mémoire, nous sommes allés à la rencontre d’un des acteurs de ce massacre post-électoral.
Marcia GUIKOMOU
C’est dans un terrain de football situé dans un quartier périphérique de Libreville que le sous-officier de la Garde républicaine (GR) – que nous appellerons sergent Mapali pour des raisons de sécurité – a accepté de nous rencontrer, loin des regards indiscrets.
D’emblée, il fixe les règles de l’entretien. « Éteignez votre téléphone, Madame. Pas de photos, pas d’enregistrements de ma voix », prévient-il. Nous obtempérons. « Pas de soucis, sergent. L’étranger est prisonnier de son hôte », rétorquons-nous avec humilité.
Nous réussirons à arracher un petit sourire à notre interlocuteur qui a le visage renfrogné. Puis, nous entrons dans le vif du sujet. « Je ne me confie pas à vous pour devenir une vedette. Je voudrais juste rétablir la vérité par acquis de conscience. Je veux me dédouaner moralement», relève sergent Mapali.
« On avait reçu l’ordre de débarrasser et d’enterrer les corps pour ne pas attirer l’attention des médias. »
Après s’être assuré qu’aucun appareil enregistreur n’est enclenché, le sous-officier nous parle à cœur ouvert. « Je n’oublierai jamais la nuit du 31, souligne-t-il. Il y a déjà deux ans mais je m’en souviens comme hier. Pour la première fois, j’ai vu l’horreur en direct. Moi, j’étais parmi les chauffeurs réquisitionnés mais j’ai vu mes collègues massacrer des civils au QG de M. Ping et dans d’autres points de la ville, » raconte-t-il.

Plusieurs personnes ont été enterrées dans des fosses communes.
Combien de personnes ont été massacrées ? Le sergent Mapali n’a qu’un chiffre approximatif. « Il y a eu au moins 300 dont 100 cette nuit-là », avance-t-il, le regard fixé vers le néant. « Les ordres venaient du grand chef et nous étaient répercutés par son petit-frère Frédéric Bongo qui coordonnait toutes les opérations avec son ami Amvane et Opiangah.
Après le bombardement du Quartier général de Jean Ping, explique le sergent Mapali, ordre a été donné aux agents de la GR de débarrasser vite les cadavres pour éviter d’attirer l’attention des médias nationaux et internationaux. « On m’a demandé d’avancer le véhicule jusqu’à l’entrée du QG. De là-bas, mes collègues en sont sortis avec sept cadavres, tous maquillés de sang », confie le sous-officier.
Pendant qu’il nous parle, des sanglots montent dans sa voix de crécelle, rendant inaudibles ses propos . «(…) J’ai continué la mission de ramassage des corps toute la nuit à différents endroits de la ville. Vers 2h du matin, mes collègues et moi avons transporté les cadavres dans une forêt située derrière l’ex-cité de la Démocratie », poursuit-il.
« Les rescapés nous ont dit: » Ne nous enterrez pas, nous ne sommes pas morts « mais » nous les avons poussés dans la fosse commune et les avons enterrés ensemble que les morts »
A en croire le sous-officier, la GR était appuyée par une milice formée la veille de l’élection présidentielle par Joséphine Nkama, la mère adoptive d’Ali Bongo. « La milice avait 1000 hommes et était basée dans une forêt près de Ntoum. Les miliciens se relayaient sur le terrain. J’avoue que tous ceux qui étaient sur le terrain avaient été drogués. La Mama avait fait venir une importante quantité de chanvre de Cuba et d’Espagne », nous apprend notre interlocuteur.
La drogue a déshumanisé les soldats au point où ils sont devenus sanguinaires. « Une scène m’a choqué lorsque nous sommes allés enterrer les cadavres la nuit. On m’a demandé de tourner le véhicule et d’aller en marche arrière jusqu’à l’endroit où avait été emménagée une fosse commune. Au moment de décharger les corps, trois jeunes qu’on croyait morts se sont réveillés et nous ont suppliés de ne pas les enterrer. Ils s’étaient juste maquillés de sang pour échapper à l’exécution sommaire. »

Des vivants auraient été enterrés ensemble que les morts
« Je fais souvent des cauchemars. J’entends résonner les voix de ces gens que nous avons enterrés vivants. »
D’après le sergent Mapali, les trois jeunes hommes ont été enterrés vivants. « Ils nous ont dit : ’’ Pardon, nous nous enterrer pas. Nous ne sommes pas morts. On a fait ça pour qu’on ne tire pas sur nous. ‘’Mais trois de mes collègues étaient impitoyables. Ils les ont poussés dans la fosse commune en disant : ‘’ allez-y là-bas ! Vous avez fait le mort, non ? Vous allez maintenant faire ça sous terre. Si on vous laisse vivants, vous irez ouvrir vos bouches.’’ Nous avons enterré des vivants ensemble que les morts », se désole le sous-officier.
Un moment, il sort sa paire de lunettes noires et les porte pour cacher ses yeux déjà rougis par l’émotion. « Bon, je vous ai déjà presque tout dit. On m’a fait faire des choses horribles. Depuis lors, je n’ai plus la conscience tranquille. Il m’arrive parfois de faire des cauchemars. J’entends résonner les voix des ces gens qui nous suppliaient de leur laisser la vie sauve. La politique au Gabon, c’est cruel », conclut le sergent Mapali, visiblement bourrelé de remords.