A la sortie du métro, sur le trottoir qui longe le Boulevard de Strasbourg, dans le 10ème arrondissement de la capitale française, déambule, presque au quotidien, un jeune métis traînant un sachet. C’est Patrick Bongo Ondimba, la trentaine, fils du défunt président gabonais, Omar Bongo, et cadet du dictateur. En rupture de ban avec ce dernier, il a échoué dans les parages. La mendicité qui était l’apanage des pauvres est devenue son métier.
Jonas MOULENDA
Château d’Eau, dans le 10ème arrondissement de Paris. Il est déjà dix heures. Un soleil estival pèse sur la ville. Des hommes et des femmes de tout âge squattent les grandes artères. Ils slaloment entre les voitures à la faveur des nombreux embouteillages, en quête d’une pièce de monnaie. Ce sont des besogneux.
Ce samedi, Château d’Eau présente une ambiance de fête foraine. Ici, des femmes négocient le prix des mèches brésiliennes, là-bas, des hommes cherchent à acheter se faire coiffer. « Vous cherchez un coiffeur ? », demandent des jeunes gens postés à la sortie du métro. Ils apostrophent systématiquement les passants, se proposant de les conduire dans les salons de coiffure les moins cher. Un refus poli suffit à repousser ces débrouillards venus pour la plupart du continent africain.

C’est dans les parages qu’erre Patrick Bongo Ondimba.
Noyé au milieu de ces démarcheurs, un métis grand, mince, vêtu d’un pantalon noir et d’une chemise violet clair marche sans se soucier d’autres passants. Il s’appelle Patrick Bongo Ondimba, fils d’Omar Bongo et cadet du dictateur gabonais Ali Bongo Ondimba. Pour survivre à Paris, il est contraint de mendier. Difficile de croire qu’il est issu de la famille régnante au Gabon. « Quand je l’ai rencontré la première fois, il m’a dit qu’il était le cadet du président gabonais. Je ne l’ai pas cru. C’est lorsqu’il m’a montré son passeport que j’ai pris au sérieux ce qu’il m’a dit», explique Aminata, une jeune coiffeuse sénégalaise.
UN PAUVRE HERE. A Paris, Patrick Bongo Ondimba n’a pas de nom. Pas de visage même. Il fait partie de cette masse de misérables qui ont quitté leur pays pour diverses raisons et qui arpentent les rues de la capitale française, à la recherche de la fuyante pièce d’argent. Rares sont ceux qui savent ses origines. Il n’en parle que rarement. La galère de la France l’a dépossédé de son identité. Triste sort pour un jeune qui rêvait pourtant d’un avenir radieux dans un environnement où il se sentirait en sécurité et en harmonie avec lui.
Chaque jour, Patrick tend la main en rue pour trouver de quoi acheter un sandwich. Ceux qui l’ont connu par le passé n’en reviennent pas. Sous le règne de son père, il n’avait pas le gousset vide. Selon son entourage, il menait une vie épicurienne, se rendant dans les pays de son choix. Mais depuis la mort de son père, sa vie a basculé. « Il lui a manqué d’encadrement. Ses aînés n’ont rien fait pour qu’il réussisse sa vie. C’est ainsi qu’il a versé dans les vices. C’est vraiment dommage », se désole une connaissance du jeune homme, précisant que ce dernier a été surnommé « Bongo Bad Boy », en raison de ses vices.

Le petit-frère d’Ali Bongo. Ici, l’été dernier à la gare du Nord.
Le temps s’égrène lentement. Comme dans un rêve. Château d’Eau grouille davantage d’une agitation frénétique. Pour Patrick, faudrait bien trouver quelques pièces d’argent pour acheter de quoi manger aujourd’hui. Il mène une terrible lutte avec la vie. Livré à lui-même, il vit chaque jour comme le dernier. C’est l’histoire du fils d’un milliardaire devenu un pauvre hère. Un instant, le jeune homme se retourne et s’écrie d’une voix implorante à l’adresse des passants sur la rue menant aux salons de coiffure Afro.
Une femme d’une quarantaine d’années environ lui glisse une pièce dans la main. « Merci Madame », dit-il d’une voix fluette. Une autre jeune femme arrive et lui donne quelques pièces. Combien ? Peut-être 50 centimes, 1 euro ou 2. Il s’empresse de les mettre les pièces dans la poche de son pantalon. Il espère bénéficier encore de la magnificence d’autres passants. Nous nous avançons vers lui pour lui remettre 10 euros en pièces. Pour lui, c’est une aubaine. « Merci beaucoup, Monsieur ! Que Dieu vous bénisse », dit-il. En le cuisinant, nous n’avons qu’un enchaînement lassant des jérémiades. « Je souffre. Je suis abandonné à moi-même », se plaint-il.

Il est devenu un pauvre hère.
SDF. En l’abordant pour la première fois, nous n’en tirons aucune information sur sa situation et les circonstances de la vie qui l’ont amené à devenir un mendiant à Paris. Rien, à part sa courtoisie et son humilité apprises sans doute au contact de sa famille qui l’a jeté trop jeune à la rue. A toutes nos questions, les réponses sont les mêmes. Mais loin de nous avouer vaincus, nous partons d’abord déjeuner dans un restaurant environnant avant de revenir sur les lieux plus tard. Nous aurions aimé l’y emmener mais il ne présente pas les conditions hygiéniques acceptables.
Il a des cheveux ébouriffés. De plus, il présente une mauvaise haleine. Dieu seule sait à quelle date remonte sa dernière toilette. Etant devenu un sans domicile fixe (SDF), il ne se lave que rarement. Ou pas. C’est dans le sachet qu’il tient en permanence à la main qu’il porte les quelques affaires qu’il possède. Ah, pauvre Patrick ! Son père Omar Bongo doit se retourner dans sa tombe, lui qui le choyait après l’avoir reconnu en 1999. Dans son errance, a-t-on appris, il a fait la connaissance d’autres jeunes avec lesquels ils sniffent du chanvre dans l’espoir de noyer ses tourments.
Il semble présenter des troubles de la personnalité. Tantôt, il engage une conversation avec lui-même. Tantôt, il retrouve sa lucidité et se montre cohérent dans son raisonnement. « Il est encore récupérable. Nous ne comprenons pas pourquoi sa famille l’abandonne comme ça. C’est vraiment triste. Il est fils de président et petit-frère d’un président. C’est inacceptable qu’il se trouve dans cette situation. Même s’il souffrait d’une pathologie, sa famille a les moyens de le soigner. C’est vraiment une honte pour ses frères et ses sœurs qui sont pourtant riches », observe Hanoune, un commerçant marocain.
C’est midi. Patrick a le visage renfrogné. Manifestement, il est tenaillé par la faim. Après avoir compté ses pièces d’argent, il traverse la route pour acheter un sandwich chez une commerçante ouest-africaine installée à la sortie du métro. Nous le suivons des yeux en silence. Il inspire vraiment de la pitié. Des questions nous viennent à l’esprit ? Pourquoi vivote-t-il en France ? Pourquoi ne rentre-t-il pas au bercail ? Pourquoi son frère Ali Bongo et le reste de sa fratrie ne font-ils pas quelque chose pour lui ? Le cas de Patrick est désespérant.

Il est devenu méconnaissable.
VIE DU CHATEAU. Le temps est vite passé. Il est déjà 16heures 30. Nous repartons à la rencontre de Patrick. Epuisé, il s’est assis à même le sol, à côté d’autres jeunes africains qui partagent son vécu quotidien. « Il ne dort pas bien la nuit. Il dort à la belle étoile ici ou à la gare de l’Est. Même pendant l’hiver, il passe les nuits dehors », explique Armand, un jeune Camerounais d’une trentaine d’années. Un instant, il nous demande pourquoi nous intéressons tant au sort du jeune homme. Nous lui expliquons que c’est parce que nous sommes issus du même pays que lui. Il hoche la tête, visiblement rassuré.
D’un ton amer, mais empreint de dépit, il ajoute : «Ma vie est cauchemar, le dénuement me brise le cœur. La misère n’épargne pas mon existence». Doté d’une mémoire phénoménale, il peut retracer tous les détails de sa vie. Il se souvient avec plaisir de ses années d’études au lycée Albert Camus et au lycée Blaise Pascal à Libreville. Il explique sa mère est une métis Gabonaise qui avait été présentée à Omar Bongo par l’apparatchik Michel Essongué.
A Paris, Patrick Bongo Ondimba passe la nuit dehors quelle que soit la saison et quand le jour se lève, il reprend son errance dans une sorte de monotonie qui fait que tous les jours se ressemblent pour lui. Mendier est un geste qui ne renvoie pas forcément à la misère et à la pauvreté puisque, explique-t-il, il est des gens qui n’ont rien à voir avec la faim mais qui continuent de tendre la main. Pourtant, sa vie n’est pas un long fleuve tranquille, loin s’en faut. Il est des jours où il n’a rien à mettre sous la dent, car la générosité est loin d’être un trait de caractère en France.
La nuit tombe sur Paris. Les commerces ferment les unes après les autres. Peu à peu, Château d’Eau désemplit. Les jeunes démarcheurs africains qui écument souvent les lieux dès le lever du jour regagnent leurs domiciles respectifs. Bientôt, Patrick Bongo Ondimba restera seul. Avant que la nuit ne s’épaississe sur la ville, il traverse acheter un sandwich chez la commerçante béninoise qui a commencé à emballer ses effets. Puis, il retourne s’asseoir devant un bâtiment à usage commercial, à côté d’un SDF syrien. C’est là qu’il passera sans nuit. Une vie du Château, vraiment