Matins d'Afrique

LETTRE À UN SOLDAT DE LA GARDE RÉPUBLICAINE

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« L’ARME QUE TU PORTES N’EST PAS UNE FRONDE À TUER LES OISEAUX. »

Mon cher Ontsia,

J’aurais aimé te parler de vive voix parce que j’ai trop de choses à te dire. Mais la distance qui nous sépare ne me permet que de t’écrire. J’espère que cette lettre te servira de rétroviseur lorsque ton expérience professionnelle sera mise à rude épreuve par tes chefs hiérarchiques aux instructions obscurcies par un excès de zèle. « Si tu ne sais pas où tu vas, regarde où tu viens », disait mon grand-père.

Je salue d’abord ton choix de servir notre pays sous le drapeau. J’aimerais que tu saches que tu es au service de la nation et non d’un clan mafieux. Tu dois faire grandir le Gabon d’abord pour toi-même, ensuite pour le laisser à tes enfants non pas tel qu’il est mais plutôt plus démocratique et plus développé afin que tes descendants vivent mieux que toi. Tu as le devoir de leur laisser un Gabon où ils feront de bonnes études, seront soignés, trouveront un travail décent et des conditions optimales pour perpétuer la lignée. Mon aïeul disait: « C’est à cause de ses petits que l’éléphant déblaie les broussailles.»

Ontsia, comme tu le sais, notre pays aborde un tournant décisif de son histoire au travers de la crise politique née du tripatouillage des résultats de l’élection présidentielle du 27 août 2016. Ton rôle doit consister à faire en sorte que le Gabon ne baigne dans le sang de tes frères et sœurs en cas de révolte populaire. Tu tiens entre tes mains leurs vies. Ne joue donc pas avec le fusil que tu portes. Ce n’est pas une fronde à tuer les oiseaux. C’est une arme de dissuasion et de défense de la patrie contre des agressions extérieures. Tu ne dois, à aucun cas et sous aucun prétexte, la retourner contre tes compatriotes, même si tes chefs te le demandent. Si tu le fais, tu ne répondras de tes crimes lorsque ce pouvoir tombera. « Quand l’eau monte, les poissons mangent les fourmis. Quand l’eau baisse, les fourmis mangent le poisson », disait mon papy.

« Ontsia, les Gabonais qui se battent pour libérer le pays luttent aussi pour ta progéniture et toi. »

Tes chefs hiérarchiques tenteront de te dresser contre tes compatriotes au grand bonheur des rastaquouères qui pillent notre pays. Alors que ces derniers dilapident l’argent du contribuable pour réaliser leurs rêves de confort matériel et financier, tes semblables meurent d’une courte maladie, faute d’argent pour se soigner. Toi-même tu arrives difficilement à joindre les deux bouts. Tu as tellement le gousset vide que tu n’envoies rien aux parents restés au village. Si tu n’as pas le courage de t’élever contre les injustices sociales, laisse les vaillants patriotes le faire. Ne te dresse pas sur leur chemin avec ton arme. Mon grand-père disait : « Si tu n’as pas de seau, ne barre pas la route du puits. »

Le combat pour la libération de notre pays que mènent des milliers de compatriotes aujourd’hui est une cause nationale. Tu dois te l’approprier. Chaque Gabonais voudrait que ses conditions de vie s’améliorent. Chacun aimerait avoir sa propre maison mais c’est une chose impossible aujourd’hui parce que nos dirigeants multiplient les villas huppées à longueur d’années, vidant ainsi les caisses de l’Etat. Les citoyens sont condamnés à tirer le diable par la queue. Est-ce Gabon que tu aimerais laisser à tes enfants, Ontsia ? Refuse de cautionner cette situation, même le pouvoir te propose des friandises. Celles-ci ne mettront jamais à l’abri du besoin. « On ne rassasie pas un chameau en le nourrissant à la cuiller », disait mon aïeul.

Mon frère, regarde la petite Guinée-Equatoriale voisine. L’armée n’a aucun problème et le pays se développe plutôt bien. Le président Theodoro Obiang Nguema fait profiter à tous ses citoyens du fruit de la croissance. Les routes sont bitumées. Les grandes avenues rappellent celles des pays des Blancs. Les enfants sont enseignés dans des écoles décentes. Tous les citoyens ont accès aux soins médicaux. Les logements sociaux sont dignes de ce nom. Les gens ont des emplois bien rémunérés. Ce n’est pas le dictateur d’Ali Bongo que tu soutiens qui t’apportera le bien-être. Mon papé disait: « Si le chien doit traverser la rivière, ce n’est pas le crocodile qui sera guide. »

« Mon cher Ontsia, regarde comment la Guinée-Equatoriale dont on se moquait est maintenant développée. »

La politique du despote qui squatte le palais présidentiel depuis 2009 consiste à humilier les autres citoyens, à les diviser pour bien régner, à les écraser et à les rendre vulnérables à la manipulation. Fors le mauvais traitement salarial qu’il réserve aux militaires, par exemple, il les a réduits en bétail électoral. Il exige d’eux qu’ils aillent constituer l’applaudimètre lors de ses meetings à travers le pays. C’est inadmissible, mon frère ! Les forces de sécurité et de défense dont tu fais partie ont des missions républicaines. « Transporter de l’eau n’est pas le rôle du panier », observait mon pépé.

Cher compatriote sous le drapeau, je n’avais pas l’intention de te dresser contre les autorités. J’ai juste voulu t’ouvrir les yeux pour que tu ne sois pas manipulé par le pouvoir. Je n’aimerais pas que tu aies des problèmes un jour. Tous ceux commettent des crimes contre l’humanité finissent souvent par être rattrapés. N’applique donc plus aveuglement les instructions de tes chefs hiérarchiques. Ils font de l’oppression parce qu’ils ont déjà des cachettes. Ce qui n’est pas le cas pour toi, fils de prolétaire. « Si tu vois la souris narguer le chat, c’est que son trou n’est pas loin », disait mon grand-père.

Jonas MOULENDA

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