Le putsch survenu mercredi au Niger et les coups d’État enregistrés précédemment au Mali, au Tchad, en Guinée Conakry, au Burkina-Faso, au Soudan, etc., prouvent que le continent a fait un saut dans un passé marqué par le règne des mirmillons dénués de toute culture démocratique. Les citoyens qui ont assisté au printemps démocratique de 1990 pâlissent aujourd’hui de nostalgie
Jonas MOULENDA
L’AFRIQUE semble avance à reculons, tel un échassier. Après avoir étrenné les habits de la démocratie, le continent fait le choix de s’affubler de treillis de l’époque de la gouvernance militaire. C’est la résultante de l’échec des processus démocratiques, d’une inclinaison des organismes régionaux à négocier des compromis avec les putschistes, une réticence à organiser des interventions militaires et la distraction des acteurs internationaux par les crises internes.
Les coups d’État survenus au Mali (deux fois), au Tchad, en Guinée Conakry, au Burkina-Faso, au Soudan, en Tunisie, en Algérie et au Burundi ont sonné comme une invitation ouverte aux prises de pouvoir militaires. Près de 20 % des pays africains ont d’ailleurs été frappés par des coups d’État ces dix dernières années. C’est devenu presque un scénario classique dans la vie politique africaine. Des présidents démocratiquement élus sont de plus en plus renversés par des militaires aux appétits politiques boulimiques. Le continent a donc renoué avec les démons de coup d’état.
APRÈS LE NIGER, LE GABON ? Si le Sénégal a échappé in extrémis à ce scénario, du fait du sursaut de patriotisme son président Macky Sall, il n’en demeure pas moins que d’autres pays du continent demeurent dans l’œil du cyclone. C’est le cas du Gabon, où le sentiment anti-Ali Bongo se développe aussi bien sein de la population en butte à des difficultés économiques inextricables que dans l’armée. Le rejet de son système s’amplifie, nourri par le hold-up électoral, le massacre des civils qui s’en est suivi et d’une instabilité gouvernementale qui conduit à la mise en cause d’un système démocratique faussé, surplombé qu’il est par un régime dictatorial.
De nombreux événements militent en faveur d’un putsch. Enlisement de la crise, amplification des inégalités, concentration des richesses entre les mains de quelques individus, corruption et accroissement du chômage qui viennent s’ajouter au cocktail explosif déjà existant. Le pays est placé sous le signe du chaos et de la désolation. Il se trouve embourbé dans un gouffre dont il ne semble pas prêt de sortir.
Fors l’amenuisement des acquis démocratiques, Ali Bongo est dictateur par le simple fait de s’incruster au pouvoir par la force, en manipulant les institutions à sa guise, en fabriquant de toutes pièces des ennemis potentiels à persécuter. Il est difficile de trouver une épithète autre que celle de « dictateur » pour qualifier l’exercice du pouvoir de ce sulfureux personnage. Il règne sans partage, reniant la démocratie. Il est d’abord un dictateur de par le caractère moniste du pouvoir qu’il a développé ces dernières années. Il concentre de plus en plus de pouvoirs entre ses mains
Or, cette posture contribue à l’instabilité, à la corruption, aux violations des droits humains, à l’impunité et à la pauvreté qui caractérise aujourd’hui le Gabon. Même s’il graisse régulièrement la patte aux officiers supérieurs, Ali Bongo n’est pas à l’abri d’un putsch, après le coup d’état raté le 7 janvier 2019 par une faction de la Garde républicaine (GR), sous la houlette du lieutenant Kelly Ondo, incarcéré depuis lors à la prison centrale de Libreville pour atteinte à la sureté nationale. Dans les arcanes du pouvoir, d’aucuns soupçonnent le commandant en chef de la GR, Brice-Clotaire Oligui Nguema, de nourrir de velléités putschistes.

Le Général Oligui Nguema est soupçonné de nourrir des velléités putschistes.
Après le Mali, le Tchad, la Guinée Conakry, le Burkina-Faso, le Soudan, la Tunisie, l’Algérie, le Burundi et le Niger, le spectre du retour à la gouvernance militaire se dessine donc dans d’autres pays du continent. À y regarder de près, les acteurs internationaux ont souvent joué un rôle essentiel dans la validation de ces coups d’État à répétition. En les traitant comme des moyens malheureux mais normaux de transférer le pouvoir en Afrique, la France, les Etats-Unis et la Russie notamment donnent par inadvertance aux putschistes un coup de pouce pour franchir la ligne d’arrivée et consolider leur putsch.

Le Mahamat Idriss Déby avait reçu le blanc-seing de la France.
OPPOSITION AUX COUPS D’ÉTAT. Il est patent que pour compenser leur manque de légitimité nationale, les putschistes ont souvent besoin d’une validation internationale. Cela donne aux acteurs autoritaires extérieurs plus de poids pour compromettre la souveraineté d’un État. Le coup d’État au Mali, par exemple, a conduit la junte à envisager d’inviter des mercenaires russes, une action qui remodèle la sécurité et la politique étrangère maliennes. L’effet d’une telle décision, prise par des officiers militaires non élus opérant en dehors d’un cadre constitutionnel et sans responsabilité publique, ne serait pas dans l’intérêt des citoyens maliens, mais il renforcerait l’influence russe.
L’action la plus résolue que la communauté démocratique internationale doit prendre pour inverser la tendance des coups d’État en Afrique est donc d’encourager la démocratie. Les gouvernements africains qui s’engagent à respecter et à faire respecter les pratiques démocratiques devraient mériter un soutien diplomatique, une aide au développement et à la sécurité et une promotion des investissements privés beaucoup plus importants.
Si la vague de démocratisation de l’Afrique des années 1990 et 2000 a été menée par des réformateurs nationaux, il existait des incitations internationales claires à l’adaptation des normes démocratiques. Les acteurs démocratiques internationaux doivent s’engager à nouveau à respecter ces normes en adoptant une position plus unifiée pour soutenir l’opposition aux coups d’État.