Matins d'Afrique

Gabon: risques d’affrontements ethniques dans le Haut-Ogooué

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Les relations entre les Téké, les Obamba et les autres composantes ethniques locales se sont considérablement dégradées ces derniers mois à cause de domination d’une minorité au pouvoir. 

Karelle EBINA

RIEN ne va plus dans la province du Haut-Ogooué dont le chef-lieu est Franceville (Haut-Ogooué). Les Téké et les autres composantes ethniques locales s’affrontent à fleurets mouchetés. Parfois ouvertement.

A l’origine de ces tensions, la supprématie et la domination d’une minorité au pouvoir depuis cinquante ans.  Les Obamba, les Ndoumou, les Bakaningui et les Nzébi ne supportent plus leur marginalisation, et partant celles des autres composantes de la société gabonaise.

La cohésion sociale est mise à mal à Franceville.

La goûte d’eau qui a fait déborder le vase est la traque orchestrée par le pouvoir d’Ali Bongo contre des cadres Obamba et Ndoumou. On cite les opposants Pascal Oyougou, incarcéré depuis bientôt un mois à la prison centrale de Libreville, Alfred Nguia Banda, qui fut contraint de prendre le chemin escarpé de l’exil l’année en 2016 après une tentative d’assassinat, le journaliste Alphonse Ongouo,  réfugié en France, Virgilio Foulangoye, le syndicaliste Marcel Libama, l’artiste Isaac John et tutti quanti.

Cette traque est orchestrée par des extrémistes téké dont les noms circulent dans les salons feutrés de Libreville et sur les réseaux sociaux. Des activistes citent Jean-Boniface Assélé, Laurent Nguetsara, Jean Ekoua, Idriss Ngari, Général Paul Opéra, Colonel Jean Katoua, Colonel Hubert Nganga, Frédéric Bongo, Ali Akbar Onanga, Colonel Théophile Mpiga, Général Grégoire Kouna, Commandant Sosthène Ngari, Commandant Vivien Oyini, Gilbert Ngoulakia, Joséphine Kama et Alilat Oyima Antseleve.

Présentés comme des piliers du régime sanguinaire d’Ali Bongo, ils ne mégotent pas sur les moyens pour écraser les autres composantes du Haut-Ogooué et du reste du Gabon.« Ce sont les derniers gardiens du temple. Ils sont prêts à tout pour conserver le pouvoir », relève un responsable d’un parti de la majorité.

De fait, l’idée ne les effleure jamais de se demander si les Gabonais sont bien gouvernés, s’ils ont ou non des raisons valables de se révolter et qui sont exactement ces manifestants, jeunes et moins jeunes, qui n’ont cessé, un an durant, de braver les milices surarmées du régime dictatorial qu’ils soutiennent sans réserve. Pour le maintien de leurs privilèges, ils n’ont pas manqué de planifier le massacre de plusieurs centaines de citoyens qui réclamaient le respect de leur vote au soir de l’élection présidentielle du 27 Août 2016.

RÉGIME FAMILIAL ET CLANIQUE. Plus de 500 morts, sinon plus de disparus, un nombre considérable de blessés graves abandonnés sans soins et handicapés à vie, des dizaines de milliers de détenus atrocement torturés, le Quartier général de Jean Ping bombardé par les chars et les blindés, des exactions quotidiennes n’épargnant ni les femmes ni les enfants… Le noyau dur d’Ali Bongo a prouvé que leur régime peut aller loin dans son ignominie et sa barbarie pour rester aux manettes de l’Etat, déplorent plusieurs observateurs de la scène politique gabonaise.

A en croire plusieurs commentateurs, Téké extrémistes ont fondé leur longévité aux affaires sur l’annihilation politique de leurs compatriotes et sur l’occultation des souffrances de ces derniers. Depuis 2009, toute la politique d’Ali Bongo se résume à deux objectifs destinés à assurer la pérennité de son pouvoir : rassurer les grandes puissances qu’il est incontournable et convaincre l’ethnie Téké qu’elle est vouée aux représailles en cas de perte du pouvoir. « C’est chez Joséphine Kama que les extrémistes Téké se réunissent souvent. Les grandes décisions se prennent là-bas », explique un agent des services spéciaux.

Les contre-feux allumés par ce noyau dur, concluent d’aucuns, visent à permettre à Ali Bongo, omnipotent et omniprésent, d’achever la structuration quasiment monarchique de son régime. Dans leurs manœuvres déloyales aux desseins inavoués, les extrémistes téké n’ont placé que leurs aux postes de commandement, en la doublant de milices principalement recrutées dans leur communauté et dirigées par des membres du clan, en multipliant aussi les services de renseignement chargés chacun de surveiller l’autre et, tous ensemble, de quadriller la société.
Dans le Haut-Ogooué, leur égoïsme démesuré exaspère déjà les autres communautés frappées d’ostracisme.

Les Obamba, les Ndoumou, les Bakaningui et les Nzébi, estiment que l’heure a sonné de chasser les Téké du pouvoir et de permettre une gestion participative du pays. Une bande audio est largement diffusée ces derniers temps sur Whatsapp appelant les marginalisés à se lever pour mettre fin à l’hégémonie des extrémistes Téké. Mais ces derniers ne l’entendent pas de cette oreille. Ils multiplient les paravents, organisant même un culte de la personnalité délirant en faveur d’Ali Bongo, pourtant honni par les autres communautés ethniques pays ainsi qu’une grande partie des Tékés.

Le régime clanique et familial en place ne gouverne pas le Gabon, mais l’occupe à la manière d’une puissance étrangère. C’est pourquoi il n’a jamais voulu dans le passé – ni pu s’il l’avait vraiment voulu sous la pression des événements – procéder à une seule réforme digne de ce nom, et c’est pourquoi il n’acceptera jamais dans l’avenir, quoi qu’en pensent ses thuriféraires, d’engager un dialogue plus ou moins constructif même avec son opposition la plus molle.

RADICAUX. Les Gabonais, oppressés et offensés, au nom de la prétendue stabilité du pays, sont aujourd’hui dangereusement menacés s’il leur prenait l’envie de chasser Ali Bongo du pouvoir. Or, ils ont toutes les raisons du monde de se révolter. Tout compte fait, c’est la survie de ce régime, et non sa disparition, qui risque de mettre le Gabon tout entier à feu et à sang. Les extrémistes ont décidé de franchir un pas d’aventuriers de l’arche perdue, en créant un lobby destiné à conserver le pouvoir à tout prix.

Pourtant, la prise en compte des aspirations des autres communautés est une nécessité ontologique dans toute société civilisée. Les légitimes revendications du peuple gabonais ont besoin de l’engagement de tous les patriotes. La barbarie comme réponse aux desiderata des Gabonais a fini par faire des radicaux. Voilà pourquoi il y va de l’avenir de tout le pays que les extrémistes téké fassent un sursaut de patriotisme.

 

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