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Les blessures de l’enfance, la jeunesse passée dans l’antichambre du pouvoir, les batailles gagnées et perdues durant leurs carrières politiques respectives, leur relation avec les femmes, leur rapport au pouvoir, etc. Tout ou presque semble opposer les deux leaders politiques qui se disputent le fauteuil présidentiel depuis bientôt. Portrait croisé.

Jonas MOULENDA

Ali Bongo et Jean Ping s’affrontent à fleurets et parfois ouvertement depuis l’élection présidentielle du 27 août 2016. Ils sont différents à bien des égards, mais ils ont au moins une ambition commune, celle de diriger le Gabon.

Ali Bongo Ondimba, serait né (Alain- Bernard Bongo) le 9 février 1959 à Brazzaville, au Congo. Il serait le fils aîné d’Albert-Bernard Bongo et de la chanteuse Joséphine Nkama, alias Patience Dabany. Il prend le nom d’Ali Ben Bongo lorsque son père convertit la famille à l’islam en 1973.

Dans son enfance, un homme jouera un rôle clé : le Français Eric Chenel. Il va passer son temps à lui inculquer les bonnes manières, à lui raconter les histoires, à lui apprendre à gorger en public et à singer les Blancs, comme aucune autre personne au Gabon. Il l’incitera aussi à d’autres penchants plus personnels.

Il s’essaie à la chanson dès l’âge de 16 ans, sur le modèle de sa supposée mère. Il s’associe aux musiciens de son idole James Brown pour enregistrer en 1977 un album de funk intitulé A Brand New Man, sans rencontrer toutefois de réel succès. Sa carrière semi-professionnelle se soldera en tout et pour tout par un concert à Libreville et un autre à Abidjan avec Jimmy Ondo ainsi qu’un album financé par l’Etat gabonais. Aucun producteur indépendant ne s’intéresse à lui, le talent n’étant pas au rendez-vous.

Jamais à court d’idées, Ali Bongo a un autre projet en 1992 : faire venir Michael Jackson au Gabon: c’est le projet de sa vie ! Rabroué sèchement par Omar Bongo, qui n’attend pas dépenser des dizaines de milliards pour un chanteur qu’il connaissait à peine, il le concrétisera grâce à l’appui d’Edith-Lucie Bongo, la jeune épouse de son père, qui réussit à convaincre ce dernier, après de multiples tentatives, de satisfaire le caprice de son enfant gâté : l’Etat gabonais déboursera dix milliards pour déplacer la star planétaire. Et Ali a ce qu’il voulait : des photos de lui avec Michael Jackson au Gabon.

OISIF PATENTE. Lors de ses soirées dans les discothèques de Libreville, de Paris et de New York avec ses amis, le jeune homme n’hésite pas de claquer des fortunes pour impressionner ses semblables, qui le mettent sur un piédestal. Dans son cercle familial, il rivalise des folies dispendieuses avec sa sœur aînée, Pascaline Bongo, la plus écoutée par leur père.

Ali Bongo travaille dans le cabinet de son père entre 1987 et 1989. A 27 ans, il se réveille subitement avec de nouveaux rêves : en attendant d’être président, il veut être ministre des Affaires étrangères ou ministre de la Défense. C’est d’abord le département des Affaires étrangères qui lui est été confié, remplaçant ainsi Gustave Bongo, un proche de la famille. Ali se retrouva à faire un discours à l’Assemblée annuelles de l’ONU en septembre 1989.

C’est de cette période que date la nécessité de lui créer un curriculum vitae présentable. En effet, le fils aîné d’Omar Bongo, ministre des Affaires étrangères devenu, qui s’exprimait à l’Onu à New, n’est en fait qu’un oisif patenté, diplômé en tout et pour tout de deux attestations de scolarité dans un collège protestant des Cévennes (à Alès) et au collège Sainte-Croix de Neuilly-sur-Seine ainsi que d’un bac obtenu grâce à un coup de fils de l’Elysée, à la demande de son père.

Décision a été prise de lui fabriquer un parcours avec une thèse de géographie, rédigée par un de plus anciens conseillers français d’Omar Bongo dont le nom est connu de toute la présidence. Quelque temps après, il est viré du gouvernement de Casimir Oye Mba, à cause de son âge : la Constitution de 1991 imposait d’avoir au moins 35 ans pour exercer des fonctions ministérielles et Ali Bongo a alors 32 ans. Il est retourné dans le cabinet de son père. Avec André Mba Obame, il crée un groupe de proches, composé d’Alfred Mabika Mouyama, Germain Ngoyo Moussavou et Jean-Remy Pendy Bouyiki, qui visait à rénover la vie politique gabonaise.

GRAND BUDGETIVORE. Il dérange tous les proches afin qu’ils intercèdent pour lui auprès du père distributeur de strapontins. Omar Bongo finit par faire de lui le député de sa ville natale de Bongoville, le chef-lieu du département de la Djouori-Agnili, dans la province du Haut-Ogooué (sud-est du Gabon). Mais Ali Bongo n’a que du mépris pour cette localité et ses habitants. Il ne fait rien pour revaloriser la petite ville. Il n’y construit même pas une bicoque.

Pis, la misère des riverains, qui vivent dans des taudis construites entièrement en tôles ondulées – n’attire pas sa compassion, lui qui a pourtant l’argent plein les poches. Il est absent sur le terrain. Il n’y sera revu que le jour de renouveler le mandat du poste électif qui lui est offert sans le moindre effort.

Amateur de femmes et de très jeunes filles, qu’il abandonne parfois sans regret, il fait courtise même les nombreuses maîtresses de son père. En même temps, il s’affirme comme un tortionnaire. Assassinats politiques et meurtres lui permettent d’asseoir son autorité et de gravir les échelons politiques. L’asservissement de la population, la terreur et l’emprisonnement arbitraire deviennent les outils de sa vie politique.

Durant ses dix ans d’oisiveté, il va être assisté par Hervé Patrick Opianga, qui avec lequel il excelle dans la vie épicurienne. Ali Ben Bongo caresse un rêve : remplacer son père au trône. Mais en attendant d’atteindre son objectif, il fait des pieds et des mains pour retourner au gouvernement. Le poste qu’il choisit est celui de ministre de la Défense où il va s’affirmer comme un grand budgétivore.

Lorsqu’il apprend le décès d’Omar Bongo en juin 2009 à Barcelone, il va se précipiter à décréter la fermeture des frontières nationales. Il manifeste son empressement de devenir président de la République avant la période de transition qui sera assurée par la présidente du Sénat, Rose-Francine Rogombet. Mais des apparatchiks lui demandent de prendre son mal en patience. Alors que le corps de son père adoptif n’est pas encore enterré, il échafaude déjà des plans de gouvernance du pays; c’est le printemps de l’homme pressé.

CARENCE AFFECTIVE. Le parcours d’Ali Bongo est très différent de celui de son adversaire Jean Ping. Ils se connaissent bien pour avoir été dans la même école politique : celle du patriarche Omar Bongo, père supposé du premier, et ex-beau-père du second. Entre les deux, ce n’était pas le grand amour, mais l’appartenance à une famille politique pendant le long règne de Bongo père a fini par raffermir leurs liens.

C’était une amitié en dents de scie. Ali Bongo, qui souffre d’une jalousie morbide a longtemps eu du mal à digérer l’idylle entre sa sœur aînée Pascaline Bongo et Jean Ping. Le fils supposé d’Omar Bongo n’était pas l’archétype de garçon qui sourit aux beaux-frères. Albert Yangari, le premier amour de Pascaline Bongo, l’a appris à ses dépens.
Après l’avoir surpris dans la chambre de sa sœur à Franceville, le chef-lieu de la province du Haut-Ogooué (sud-est du Gabon), Ali Bongo l’a agressé et blessé à la tête, avant de le faire marcher en tenue d’Eve dans les rues de la ville. Toute chose qui a amené la communauté Ndoumou dont est issu Albert Yangari à se soulever. Pour calmer l’affaire, Omar Bongo nomma son gendre dans son gouvernement.

Après les remontrances de son père, Ali Bongo a changé. Ce qui a permis à Jean Ping d’échapper au sort réservé à Albert Yangari. Manifestement, il faisait contre mauvaise bon cœur. Déjà dans la maison du père, sa sœur et lui passaient leur temps à se battre, tels des coqs dans une bassecour. Ali était constamment victime des brimades répétées de Pascaline.
Ce fut dur pour lui, dans son enfance d’être fiché, à tort ou à raison, comme enfant bâtard. C’était une injure vexante au sein de la famille Bongo dans laquelle il a grandi. Les autres enfants avaient pris pour l’habitude de l’insulter et de le frapper d’ostracisme dans leur quotidien des enfants gâtés.

Il a souffert d’une carence affective ; il n’était pas suffisamment aimé par les siens. D’où son complexe d’infériorité et sa déconstruction mentale. La construction de l’adulte se réalise lorsqu’on est enfant au centre de sa famille à laquelle il fait confiance et de son milieu socioculturel. Pour l’enfant qui a grandi dans un milieu socioculturel atypique, le risque de devenir antisocial et criminogène est élevé. Ali Bongo a connu une enfance malheureuse.

DECORUM D’AMOUR ET DE TENDRESSE. Il a reçu une éducation atypique à caractère antisocial et des insultes au quotidien. D’abord par les adultes et puis à l’école où il était une véritable canaille qu’on virait de toutes les cours de récréation. Il était présenté comme un élève médiocre. Aujourd’hui, il est fiché comme un homme ayant falsifié ses actes de naissance et son niveau d’études, se faisant passer pour un docteur en géographie maritime.

Contrairement à Ali Bongo, Jean Ping a grandi dans un décorum d’amour et de tendresse. Né le 24 novembre à Omboué, dans la province de l’Ogooué-Maritime, l’actuel chef de fil de l’opposition gabonaise fut choyé par ses parents. Dès l’école primaire, sa mère, Germaine Anina, et son père, Charles Ping – un exploitant forestier qui a d’abord travaillé dans une usine Peugeot en France – attachent du prix à sa réussite.

C’est ainsi qu’ils l’exhortent à l’effort, lui faisant comprendre que l’école est sa seule voie de réussite. Le brassage culturel marque son enfance. Sa différence visible en tant que fils d’immigré chinois et d’une Gabonaise l l’éveille très tôt sur le monde et lui donne une certaine ouverture d’esprit.

Après l’obtention de son baccalauréat, son père l’encourage à aller en France en qualité de boursier de l’État gabonais. Il étudie l’économie à la Sorbonne, jusqu’à l’obtention de son doctorat d’État en sciences économiques. A partir de 1972, il travaille comme fonctionnaire international à l’Unesco sur les dossiers de l’éducation, de la coopération en vue du développement et des relations extérieures.

De 1978 à 1984, Jean Ping est le délégué permanent du Gabon auprès de l’Unesco. Profondément marqué par mes multiples rencontres et travaux menés au sein de cette grande institution et de plus en plus conscient du long chemin à parcourir pour construire un Gabon fort et stable, il rentre au bercail en 1984 en vue de participer à la vie politique nationale.

TRAVAILLEUR ACHARNE. Il devient le représentant du Gabon à l’Unesco, puis directeur de cabinet d’Omar Bongo durant plusieurs années. Le 26 février 1990, il est nommé ministre de l’Information, des Postes et des Télécommunications, du Tourisme et des Loisirs, de la Réforme du secteur parapublic, également en charge des Relations avec le Parlement et porte-parole du gouvernement.

Quelques mois plus tard, ce travailleur acharné prend la tête du ministère des Mines, de l’Énergie et des Ressources hydrauliques, poste qu’il occupera jusqu’en juin 1991, puis à nouveau du 28 août 1992 au 24 mars 1994, pendant dix-neuf mois. À cette occasion, il préside, en 1993, l’OPEP, dont le Gabon est alors membre. Cette longue période de la pratique de la gestion de la chose publique l’enrichit, et lui donne une idée précise sur les affaires pétrolières.

Le 25 mars 1994, il prend pour la première fois la charge du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, avant de devenir, le 30 octobre, ministre délégué auprès du ministre des Finances, de l’Économie, du Budget et de la Privatisation. Il devient ensuite, du 27 janvier 1997 au 25 janvier 1999, ministre de la Planification, de l’Environnement et du Tourisme, avant de redevenir ministre des Affaires étrangères et de la Coopération, augmenté cette fois du portefeuille de la Francophonie, et avec le titre de ministre d’État.

C’est au cours de ce dernier mandat ministériel de neuf ans qu’il a présidé, en 2004-2005, l’assemblée générale des Nations unies. Fort de mon expérience nationale et à l’ONU, il a été élu, le 6 février 2008, président de la commission de l’Union africaine, poste qu’il a occupé jusqu’au 15 octobre 2012.

A priori, tout oppose Jean Ping et Ali Bongo. Opposition contre majorité. Clinquant contre profil bas. Impénétrable contre impulsif. Ils se marquent à la culotte. L’action ou la parole de l’un résonne toujours comme une réponse ou un contrepied à celle de l’autre. Ali Bongo n’a pas la componction d’un homme d’Etat. Il émane de sa personne un vouloir-vivre presque animal.