Matins d'Afrique

Gabon: les éléments déclencheurs d’un coup d’état réunis

Les militaires sont craints par le pouvoir

Partager l'article

Entre  le 17 et le 18 février 1964, des militaires gabonais se sont dressés contre le président Léon Mba. Le coup d’état était consécutif à la dissolution de l’Assemblée nationale par lui, le 21 janvier 1964. Vers 5 heures du matin,  150 soldats, dirigés par les lieutenants Jacques Mombo et Valère Essone, arrêtèrent, sans tirer un coup de feu, le président de l’Assemblée nationale, Louis Bigmann, et plusieurs ministres. Le président fut destitué et  déporté  à Lambaréné, avant d’être réhabilité par la France. Depuis lors, le pays n’a plus connu de putsch. Mais, la crise abyssale qu’il traverse sous Ali Bongo pourrait y réveiller des velléités putschistes, aucune armée n’étant définitivement soumise à un tyran.

Jonas MOULENDA

LE cas du Zimbabwé, où  les militaires étaient très soumis au dictateur Robert Gabriel Mugabe, a fait tilt chez les despotes africains. L’éviction de ce dinosaure par des militaires a poussé les autres tyrans à la réflexion, le cabri devenant intelligeant à l’endroit où on dépèce l’antilope. L’Afrique toute entière a découvert qu’aucune institution militaire n’est jamais définitivement acquise à la cause du président en fonction.

Ce message semble être passé cinq sur cinq chez le dictateur gabonais Ali Bongo, qui opprime son peuple depuis son arrivée au pouvoir en 2009 et son maintien par hold-up électoral en août 2016. Après le coup d’Etat militaire de février 1964 contre le président Léon Mba, le Gabon n’a plus connu un autre putsch. Mais les observateurs de la scène politique africaine n’excluent pas un scénario similaire, si la crise dans laquelle le pays se trouve empêtré perdure. A ce jour, les éléments déclencheurs du coup d’Etat de février 1964 semblent déjà réunis.

Le scénario de février 1964 n’est pas exclu.

Cette année-là, c’est la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Léon Mba qui déclencha le coup d’état contre lui. Le 30 avril dernier, la Cour constitutionnelle, a dissout la première chambre du parlement, à l’initiative d’Ali Bongo. Léon Mba a emprisonné plus de 150 opposants. Ali Bongo en a fait autant. Léon Mba aspirait à établir une démocratie au Gabon, ce qui, croyait-il, était nécessaire pour attirer les investisseurs étrangers. Ali Bongo simule aussi la démocratie en autorisant la création de quelques partis politiques.

Le premier président du Gabon montrait trop de faiblesse dans la réalisation de son projet  et était surnommé « le patron »  pour son haut degré d’autorité. Ali Bongo fait pire. Il est très autoritaire et parle à demi-mot, avec l’espoir d’être compris à la seconde. Le 21 février 1961, Léon Mba a fait adopter une nouvelle constitution, instaurant un régime hyper-présidentiel qui lui donnait les pleins pouvoirs exécutifs. Il pouvait nommer les ministres aux fonctions et responsabilités qu’il avait décidées. Ali Bongo a fait de même en faisant adopter une constitution qui consacre ses pleins pouvoirs.

ARMEE CLANIQUE. Le président Léon Mba pouvait dissoudre l’Assemblée nationale ou choisir de prolonger son mandat de sept ans ; il pouvait déclarer l’état d’urgence en cas de besoin. Le dictateur Ali Bongo fait autant. Il a décrété l’état d’urgence et déployé les forces de sécurité et de défense à travers toute la ville de Libreville. « Tous les éléments déclencheurs du coup d’état militaire de Février 1964 sont aujourd’hui réunis. Je ne serai pas étonné d’apprendre un beau matin que l’armée a déposé Ali Bongo pour siffler la fin de la récréation. Aucun dirigeant au monde ne peut dire qu’il maîtrise l’armée à 100%. Cela dépend des circonstances et des intérêts en jeu », estime un ancien ministre sous Omar Bongo.

Le despote se montre particulièrement méfiant vis-à-vis des officiers supérieurs de l’armée.

Manifestement, Ali Bongo voit le mal de loin. C’est pourquoi, conclut-on, il réserve souvent un traitement de faveur à l’armée. Il a multiplié les primes des soldats et épargné ces derniers des tracasseries du paiement sur bons de caisse.  « Le gouvernement a mis tous les fonctionnaires sous bons de caisse, sauf les militaires. Les autorités savent ce que l’armée peut faire lorsqu’elle est lésée. Mais ce traitement de faveur ne saurait durer, même si le FMI vient d’accorder un nouveau prêt au Gabon », relève un membre de Dynamique unitaire, la principale centrale syndicale qui s’oppose à la cure d’austérité décidée par le gouvernement et appelle tous les agents de l’Etat à la mobilisation le 13 août prochain.

Même si le Gabon ne dispose que d’une armée clanique, tous les scénarios sont possibles. Le putsch de février 1964 pourrait y faire école. Tout comme le cas  du Zimbabwé et de nombreux autres pays africains. Avant Robert Gabriel Mugabe, il y a eu Blaise Compaoré au Burkina-Faso et  François Bozizé en Centrafrique. Arrivé au pouvoir par un coup d’État le 15 mars 2003, le Centrafricain a été, à son tour, déposé le 24 mars 2013. Il a pris le chemin escarpé de l’exil. Son homologue bissau-guinéen, Carlos Gomes Junior, a subi le même sort en 2012. Au total, vingt-trois chefs d’Etat ont été forcés à quitter le pouvoir ces 15 dernières années.

Le 9 avril 1999, le président Ibrahim Baré Maïnassara fut assassiné lors d’un coup d’Etat par la garde présidentielle alors dirigée par le commandant Daouda Mallam Wanké. Le 30 avril, l’armée dirigée par son chef d’état-major, Azali Assoumani, a pris le pouvoir. Le 7 mai, Joao Bernardo Vieira fut renversé par une junte en rébellion depuis 1998 dirigée par Ansumane Mané. Le 24 décembre, une mutinerie de soldats s’est transformée en coup d’État, le premier du genre en Côte d’Ivoire. Robert Gueï a annoncé la destitution du président Henri Konan Bédié.

Le 15 mars 2003, Ange-Félix Patassé, au pouvoir depuis 1993, fut renversé par le général François Bozizé, entré en rébellion fin 2001. Le 16 juillet, le coup d’Etat à Sao Tomé et Principe fut bref. Profitant de l’absence du président Fradique de Meneze, Fernando Pereira a tenté de s’emparer du pouvoir. De Meneze a repris ses fonctions une semaine plus tard, grâce à une médiation internationale.

Le tyran s’appuie sur la garde républicaine,très clanique

JUNTE. Au Liberia, le tout puissant, Charles Taylor fut contraint à l’exil. Il  abandonna son pouvoir, le 11 août 2003, sous la pression de la communauté internationale et d’une rébellion qui frappa aux portes de son palais. Un an plus tard, en Guinée Bissau, Kumba Yala fut  renversé, le 14 septembre 2003, par une junte dirigée par Verissimo Correia Seabra.

Le 3 août 2005, une junte a renversé le régime de Maaouyia Ould Taya en Mauritanie. Trois ans plus tard, toujours en Mauritanie, le président élu, Sidi Ould Cheikh Abdallahi, a été renversé par une junte dirigée par Mohamed Ould Abdel Aziz, le 6 août 2008. La même année, le 23 décembre, tout précisément, une junte dirigée par Moussa Dadis Camara a pris le pouvoir en Guinée, quelques heures après l’annonce de la mort du président Lansana Conté.

Le 2 mars 2009, en Guinée-Bissau, le président Joao Bernardo Vieira fut tué par des militaires à Bissau, quelques heures après l’assassinat du chef d’état-major de l’armée. À Madagascar, Marc Ravalomanana fut lâché par l’armée. Le 17 mars 2009, il démissionna et transféra les pleins pouvoirs à un directoire militaire, qui les remit à Andry Rajoelina. Au Niger, l’armée a pris le pouvoir le 18 février 2010. Elle a déposé le président Mamadou Tandja et dissout le gouvernement.

Le 14 janvier 2011, le Tunisien Zine El Abidine Ben Ali fut chassé par une révolte populaire déclenchée par l’immolation par le feu d’un marchand, Mohamed Bouazizi, excédé par la pauvreté et les humiliations policières. Le 11 février 2011, en Égypte, après 18 jours de révolte, la rue a fini par avoir raison d’Hosni Moubarak. L’armée s’est installée à la tête du pays. En Côte d’Ivoire, la conquête du pouvoir a quitté les urnes pour la rue et les casernes. Un pays, deux présidents. Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo revendiquaient la victoire à la présidentielle de novembre 2010 en Côte d’Ivoire.

Le 11 avril 2011, Laurent Gbagbo a fini par être arrêté après plus de quatre mois de crise et plusieurs jours de bombardements de la force française Licorne et de l’ONU.  Bilan de cette crise: 3.000 morts. Le dernier chef d’État africain à tomber en 2011 fut celui de la Libye. Confronté à un soulèvement transformé en conflit armé, le guide libyen Mouammar Kadhafi fut tué le 20 octobre 2011 à Syrte.

Le 22 mars 2012, au Mali, un coup d’Etat dirigé par le capitaine Amadou Sanogo renversa le président Amadou Toumani Touré. Un mois plus tard, en Guinée-Bissau, un putsch mené par le chef d’état-major, le général Antonio Indjaï, a renversé, le 12 avril 2012, le régime de l’ex-Premier ministre Carlos Gomes Junior. Le 24 mars 2013, en Centrafrique, François Bozizé fut renversé par les rebelles de la Séléka.

En Égypte, Mohamed Morsi, successeur d’Hosni Moubarak et premier chef d’Etat issu d’un scrutin démocratique fut renversé, le 3 juillet 2013, par le général Abdel Fattah al-Sissi. En Centrafrique, Michel Djotodia qui s’était auto-proclamé président de la République le 24 mars 2013 après le renversement et la fuite du président François Bozizé a été évincé à son tour. Autant d’exemples de coups d’état qui pourraient école au Gabon où le peuple conjure le sort au quotidien.

 

Quitter la version mobile