Gabon: le journal « La Loupe » suspendu pour un mois
Jonas Moulenda
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La décision a été prise de manière unilatérale, jeudi soir, par le président de la Haute autorité de la Communication (HAC), Raphaël Ntoutoume Nkoghe, un grand prédateur de la liberté de la presse.
Jonas MOULENDA
IL a déjà annoncé ses couleurs. Le président de la Haute autorité de la Communication (HAC), Raphaël Ntoutoume Nkoghe, un griot au service d’Ali Bongo, vient de suspendre l’hebdomadaire indépendant « La Loupe, » à la suite de son article intitulé « Voici les parasites de la République. «
Dans sa livraison de mardi, le journal indépendant fustigeait l’apathie des gouvernants actuels et de leurs afidés, grassement payés par le contribuable. Le journal visait, entre autres, le dictateur Ali Bongo, de son vice-président, Pierre-Claver Maganga-Moussavou et d’autres personnalités de premier plan.
Mais cet article a pris à rebrousse-poil le président de la HAC. Visiblement plus préoccupé à défendre son mentor qu’à veiller au respect de la déontologie. Au terme d’une simple discussion avec d’autres conseillers membres de la HAC ont dit n’avoir pas trouvé d’inconvénient au titre de La Loupe, Raphaël Ntoutoume Nkoghe a usé de ses prérogatives pour suspendre le journal pour une durée d’un mois.
Des agissements péremptoires qui étaient prévisibles au regard de l’excès de zèle dont l’ancien conseiller d’Ali Bongo a toujours fait preuve. » Il fallait s’attendre à ce genre de décisions de sa part. Raphaël Ntoutoume Nkoghe est un opportuniste prêt à tout pour plaire à son mentor. Il foutra la merde à la HAC. Je ne sais pas comment le président a nommé un tel individu à la tête d’une entité chargée de réguler un secteur aussi sensible que la communication, » s’est désolé un proche d’Ali Bongo.
Raphaël Ntoutoume Nkoghe, un prédateur de la liberté de la presse.
Avec Raphaël Ntoutoume Nkoghe à la tête de la HAC (ex-Conseil national de la Communication (CNC), les professionnels de la communication redoutent le muselement total de tous les médias indépendants réfractaires aux dithyrambes en faveur du despote gabonais. Déjà, l’expérience des journaliste était mise à rude épreuve par des lois liberticides, notamment un code de la communication des plus répressifs, entré en vigueur en janvier 2017.
ARMADA RÉPRESSIVE. Sous Omar Bongo, la presse gabonaise a connu une évolution significative. Cette évolution a commencé au début des années 1990 avec une floraison de nouveaux titres. Le paysage médiatique gabonais s’est retrouvé profondément bouleversé avec d’un côté une presse d’Etat ayant perdu le monopole de l’information mais disposant de moyens logistiques matériels et humains conséquents, et de l’autre des organes de presse indépendants animés par des jeunes n’ayant pas reçu de formation en journalisme.
Si cette presse a fait preuve d’emblée d’un manque de professionnalisme, elle se caractérisait aussi et surtout par un dynamisme, un esprit de créativité et une réelle liberté de ton jusqu’alors inconnue dans le pays et qui dérange. Mais cet élan s’est estompé avec l’arrivée au pouvoir en 2009 d’Ali Bongo, perçue par d’aucuns comme une période sombre pour les journalistes.
Le despote s’appuie sur le code pénal en vigueur dans le pays, qui est l’un des plus sévères au monde. Il est largement capable de prendre en charge les aspects liés entre autres à la diffamation. Le code de la communication n’est qu’un texte de plus, et un prétexte de plus pour que le pouvoir en place renforce encore un peu plus son armada répressive dans ce qui est communément appelé, délit de presse.
Désorganisés par les pesanteurs politiques et parfois partisanes, les professionnels de la presse ont toujours reporté sine die toutes discussions sur leur statut, un garde-fou contre les velléités d’embrigadements de toutes sortes. Il n’existe pas encore dans le pays de charte d’éthique et déontologie qui doit définir, à l’image de ce qui est en cours dans les grandes démocraties et les pays qui se respectent sur les règles professionnelles des journalistes.
Avec le régime autocratique d’Ali Bongo, les problèmes que rencontrent les professionnels de la communication s’en trouvent décuplés. A la faiblesse dramatique des moyens s’ajouteront des brimades, des exactions et des menaces constitutives d’atteintes graves à la liberté de la presse, d’expression et des violations flagrantes des lois d’une République bananière.
En lieu et place de la liberté réclamée, à cor et à cri, par les professionnels de la presse, le dictateur et ses sbires ont promis de mettre en place un cadre juridique protégeant les journalistes. Malheureusement, ce projet demeure un véritable serpent de mer. Les atteintes contre les journalistes de la presse indépendante continuent, les poursuites judiciaires persistent âprement et les amendes avec outrance.