Le Gabon est malade, il faut vite le soigner. Son problème, ce sont les mêmes familles qui veulent gouverner le pays ad vitam aeternam, après avoir longtemps siphonné les finances publiques. On les trouve presque dans toutes les sphères décisionnelles de l’Etat.
Jonas MOULENDA
IL y a d’abord la présidence de la République qui est verrouillée par les familles régnantes. Pour de nombreux compatriotes lassés par le système dynastique, le grand toilettage doit commencer par la première institution du pays. Il faut ouvrir ses portes et ses fenêtres, chasser le renfermé, créer un puissant appel d’air frais qui viendra non seulement de la mer et des plaines, mais des plateaux et des montagnes du pays, antres des génies protecteurs du Gabon.
Il faut insuffler un peu d’air frais à un pays qui étouffe, parce qu’il est maintenu dans le statique mortifère qui est la même pièce de théâtre politique jouée par les mêmes acteurs depuis cinquante ans déjà. Ali Bongo, fils supposé d’Omar Bongo qui a régné quarante-deux ans durant sur le Gabon, doit être éjecté du fauteuil présidentiel qu’il occupe indûment depuis l’élection présidentielle du 27 août 2016 au cours de laquelle il a mordu la poussière face à Jean Ping.
Le Gabon est pays atypique. C’est une ruche où les abeilles se laissent commander par les guêpes. Le maintien du monopole politique, de la pensée unique qui étouffe les voix de l’opposition, renforce l’idéologie ou le discours politique, social et moral dominant, conduit à la régression des libertés. Le dictateur Ali Bongo a construit un pouvoir vertical avec les mêmes familles complice à la sienne pour ne pas subir des influences diverses ni s’entourer d’avis divergents.
Or, la verticale du pouvoir dans un pays où il n’y a pas de contre-pouvoir est dangereuse. Tout émane d’Ali Bongo, tout dépend de lui. Il n’y a pas de séparation mais confusion des pouvoirs, le pouvoir législatif joue un rôle mineur et le pouvoir judiciaire est aux ordres du pouvoir exécutif. La magistrature est dans son ensemble non pas debout ou assise comme le veut la loi, mais à genoux et à plat ventre comme le veut le pouvoir exécutif.
TRANSMISSION DYNASTIQUE. Quand l’opposition est faible, le pouvoir qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un, se divise et, quand elle est forte, il se ressoude pour se défendre. Il faut clarifier le jeu politique : d’un côté le pouvoir sans tensions ni rivalités ou divergences stratégiques, qui ne peut durer sans cohésion au sommet, de l’autre l’opposition dans toutes ses composantes, sans déchirements fratricides, sans polémiques ou recherches de leaderships qui minent son union.
Au Gabon, le pouvoir se transmet à tous les niveaux de père en fils comme dans les monarchies. C’est la transmission dynastique du pouvoir par la fratrie ou accointances familiales qui semble être le mode de gouvernance du pays. La technostructure du gouvernement formé lundi par les putschistes vient confirmer cette triste réalité.
Pierre-Claver Maganga Moussavou a été catapulté vice-président de la République et son fils, Biendi Maganga Moussavou, se retrouve ministre plein. Il en est de même pour Séraphin Ndaot, promu président du Conseil national de la Démocratie, tandis que sa fille, Carmen Ndaot, est bombardée ministre du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle.
Guy-Maixent Mamiaka a été ramené au gouvernement des putschistes. Il est le fils du Général Raphaël Mamiaka, qui est longtemps resté ministre sous Omar Bongo. C’était comme s’il n’y avait pas d’autres compétences dans leur ville de Booué, le chef-lieu du département de la Lopé, dans la province de l’Ogooué-Ivindo. Comme dans toutes les autres localités du pays, c’est la famille Mamiaka qui y règne sans partage depuis des décennies.
Lors du dernier conseil des ministres des putschistes, Ali Bongo a nommé son demi-frère, Fabrice Andjoua Bongo, au prestigieux poste de Directeur Général du Budget. Les cabinets ministériels sont, à l’identique, composés des membres d’une même famille. C’est ainsi que dans un ministère, on trouvera, du planton au secrétaire général, en passant par les conseillers, les secrétaires, des membres d’une même ethnie. Comme s’il n’y avait pas des compétences dans d’autres composantes de la société.
INEGALITES. Le peuple gabonais abhorre cette République familiale. Il veut désormais être maître de son destin. La minorité riche a assez écrasé la majorité pauvre. Les nombreuses familles qui se retrouvent exclues de la gestion du pays n’ont pas d’autre alternative que la rue pour tenter d’arracher leur liberté confisquée. Le gouvernement mène une politique de plus en plus sélective. L’aisance financière ne se reflète pas sur la vie des familles frappées d’ostracisme, mais seulement sur la minorité au pouvoir. Il y a les nouveaux riches, toujours plus riches et les pauvres, plus pauvres.
Les Gabonais sont de plus en plus pauvres.
La pauvreté fait tache d’huile, s’étend à tout le pays, affecte la majorité de la population. Les grognes sociales vont se reproduire avec plus de force et de manière coordonnée. Ali Bongo entend-il la colère des pauvres qu’il doit regarder dans les yeux pour mesurer leur détresse mais aussi les menaces de mécontentement, d’affrontement et de revendication ? Les inégalités ne sont pas réduites mais exacerbées et exigent la redistribution des richesses nationales. Mais il a fait du Gabon l’exemple d’une profonde injustice sociale.
Il n’est pas à l’écoute de la société dont le pouvoir d’achat ne fait que baisser d’année en année. Il y’a une rupture, une cassure entre d’une part une minorité jouissant d’un niveau de vie égal ou supérieur à celui des pays les plus riches de la planète, et de l’autre la majorité de la population dont le problème fondamental est de satisfaire ses besoins les plus élémentaires. A cette allure, une période d’instabilité s’ouvrira.
In fine, un nouveau président prendra le pouvoir. Ce dernier devra faire preuve de sens politique, témoigner d’une grande capacité d’ouverture vers le peuple, s’ouvrir sur les partis politiques de l’opposition, les représentants des syndicats et de la société civile autonome et les jeunes générations. Le pouvoir qui est divisé en clans, puis en castes, enfin en dynasties qui ne sont pas l’apanage des monarchies, s’est replié sur lui-même. Il a peur de l’ouverture parce qu’il croit que ce serait sa fin. Pourtant, celle-ci est inéluctable.
