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Posés entre des collines recouvertes de forêts, les villages situés dans cette partie de la province de l’Ogooué-Lolo (sud-est du Gabon) baignent dans l’atonie. Malgré la diversité de leur culture, toutes ces bourgades manquent du minimum nécessaire à l’épanouissement de leurs habitants. Ceux-ci se sentent oubliés et méprisés par les gouvernants. Reportage.

Jonas MOULENDA

TOUT au long de la route dégradée qui relie le canton Wagna au chef-lieu de la province de l’Ogooué-Lolo qu’est Koula-Moutou, des villages ternes défilent à nos yeux. Dans ces bourgades situées au milieu de la forêt équatoriale, la vie tourne au ralenti. On a peine à croire que les commerçants font recette.
Installé devant sa boutique, au village Mouila-Pouvi, un commerçant déplore le manque de clientèle. « Tout est bloqué ici. Il n’y a pas assez de clients et on ne sait pas comment faire pour se nourrir. Ca m’inquiète beaucoup », explique-t-il, non sans relever le manque d’activités génératrices de revenus dans cette contrée enclavée.

Pour rejoindre celle-ci, il n’y a pas d’autre choix que d’emprunter une route dégradée serpentant par monts et vallées, qui débouche à Mimongo, le chef-lieu du département de l’Ogoulou (province de la Ngounié). Par là, au lieu de monter, il faut descendre et encore descendre, par un chemin, certes, carrossable, mais très étroit et truffé de dangereux virages. Les dos d’ânes et les trachées rendent la circulation difficile. Le seul motif de satisfaction est la splendeur et le charme de la nature.

De temps à autre, le véhicule amorce une descente vertigineuse et interminable. Par endroits, la chaussée montre ses limites. Elle se rétrécit significativement. Au bout de quelques kilomètres, on arrive dans le canton Wagna. Ce matin, le village Kona semble désert. Les villageois ont déjà vaqué à leurs occupations. Comme dans toute la région, l’agriculture et la chasse font vivre les riverains.

La Lolo-Wagna est une contée oubliée par le temps 

Les rares villageois acceptent de se confier à la presse sous le couvert de l’anonymat. « Ici, si tu t’illustres comme un dénonciateur, tu peux être mal vu. Nous sommes condamnés à souffrir en silence », avance un jeune homme qu’on trouve devant une case en planches et recouverte des tôles ondulées déjà rouillées. Selon lui, les problèmes de la contrée ne préoccuperaient les hommes politiques que pendant la campagne électorale.

La route de la Lolo-Wagna ressemble à une piste d’éléphant.

Notre interlocuteur nous parle du projet de réhabilitation de l’axe Koula-Moutou – Mimongo, qui est un véritable serpent de mer. « La subdivision des Travaux publics fait du rafistolage. Depuis le retour de la saison des pluies, c’est un véritable calvaire. La route est transformée en patinoire », dénonce-t-il. Cette route est effectivement dans un piteux état. Pour continuer la progression vers d’autres bourgades de la région, nous sommes obligés d’utiliser le 4X4. Tous les automobilistes pataugent dans la boue à la moindre pluie.

De Kona à Mimongon en passant par Mandji, Moulobia, Kouagna, Dibouka, Mouela, Moukabou, etc, les riverains sont privés des bienfaits de la modernité. Ils prennent la vie telle qu’elle se présente sans espoir de pouvoir la changer un jour. Dans la plupart des bourgades, il n’y ni électricité ni eau courante. « Nous utilisons l’eau des rivières et des puits. Parfois, nous avons des diarrhées », explique un jeune homme, visiblement exaspéré.

D’après la litanie qui revient presque dans toutes les conversations, les incessantes réclamations des villageois ne rencontrent qu’indifférence des autorités. Les villageois ont maintes fois réclamé l’hydraulique villageoise et l’énergie solaire mais rien n’a été fait jusque-là. Du coup, les riverains sont contraints de recourir à l’eau non potable et aux lampes-tempêtes. Il y a cinq mois, des jeunes d’un village de la contrée ont carrément bloqué le chemin pour dénoncer l’oubli de la contrée.

La vie des riverains reste très difficile.

Dans la foulée, l’ancien préfet du département de la Douya-Onoye, Hervé-Patrick Nguembi Diyembou, accusé d’instigateur de la grogne, avait été arrêté à Mouila puis transféré à Koula-Moutou où il avait été ensuite incarcéré pour trouble à l’ordre public et violence par voie de fait sur le président d’une institution, en l’occurrence l’ex-président de l’Assemblée nationale, Guy-Nzouba Ndama « Ici, c’est un monde où on doit tout accepter. Si tu lèves la tête, tu peux te retrouver en prison. Du coup, les gens vivent dans la peur », dénonce un habitant du regroupement de Bouassa.

Pour ce qui est du téléphone portable, de l’internet et de la télévision, les citoyens des villages qui en sont dépourvus n’osent même pas en rêver. « Nous voulons, à l’instar des autres villages du Gabon, avoir le téléphone portable et par là Internet. Des commodités dont on ne peut plus se passer aujourd’hui. La télévision est aussi nécessaire pour nous informer. Mais ce serait trop demander aux autorités du pays », estime une jeune habitante du village Dilanda.

Le trafic des crânes humains reste un commerce florissant dans cet îlot de peuplement 

Dans presque tous les villages de la Lolo-Wagna, les jeunes sont livrés à l’oisiveté qui est, faut-il le rappeler, mère de tous les vices. Pour avoir de l’argent, certains sont obligés de verser dans le trafic des crânes humains appelés ‘‘l’or blanc’’. L’alcool, la drogue et les jeux de hasard constituent une menace certaine. Par ici, on ne compte ni foyer de jeunes, ni maison de jeunes ni encore moins une aire de jeu ou un stade. C’est dire que les activités culturelles et sportives sont quasi nulles.

Pour se divertir, les jeunes de la Lolo-Wagna n’ont d’autre possibilité que d’aller ailleurs. « Dans notre région nos jeunes n’ont pas droit aux activités culturelles et sportives. Les jeunes essaient de s’organiser en créant des associations qui ne durent jamais longtemps car les moyens font très vite défaut, si bien que même les volontés les plus tenaces finissent par avoir les genoux à terre », explique jeune enseignant du village.

La vie y reste un long chemin de pénitence.

Pour ce qui est du secteur de l’éducation, certains villages ne disposent même pas d’une école primaire. Les élèves certains villages fréquentent les écoles d’autres bourgades. Ce qui les contraint à parcourir jusqu’à 5Km par jour. Les jeunes élèves en souffrent énormément. Ils font face aux aléas de la nature et surtout aux pluies diluviennes qui détériorent parfois leurs manuels scolaires. Cela sans parler du froid et de l’excessive chaleur. Les lycéens eux se rendent au chef-lieu de la province qu’est Koula-Moutou.

Ils endurent toutes les peines du monde pour étudier. Les plus âgés sont malmenés par le chômage galopant et la cherté de la vie. « Nous avons souvent du mal à venir rendre visite à nos parents restés ici au village parce que la route devient impraticable en saison pluvieuse», explique une jeune lycéenne à Mouela, relevant que beaucoup d’automobilistes tournent souvent le dos à la contrée pour ne pas abîmer leurs véhicules.

La vie quotidienne dans le canton Wagna est une litanie douloureuse. Un lent chemin de pénitence. La détresse des riverains est choquante et fascinante. Leurs conditions de vie attirent la compassion. C’est le reflet sans fard de la misère, de la dépendance et des limites du pouvoir de nos dirigeants.