Matins d'Afrique

Gabon : ambiance de fin de règne à Libreville

Les Gabonais sont habitués aux mensonges du tyran.

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Un après-midi de septembre dans la capitale gabonaise. La ville est calme. Quelques taxis en maraudage circulent sur des  routes rétrécies par des tas d’immondices. Depuis quelques jours, le pays bruit des rumeurs les plus folles au sujet de la santé d’Ali Bongo, qu’on dit très affaibli. Aucune communication du gouvernement. C’est un sujet tabou. Dans certains milieux proche de l’opposition, on conjure le sort, tandis que dans les cercles du pouvoir, on observe un certain attentisme. 

 Marcia GUIKOMOU 

Libreville, la capitale gabonaise, ne semble pas encore entrée en campagne électorale. Pourtant, le coup d’envoi de cette opération de charme en vue des élections législatives et locales du 6 octobre prochain a été donné par le ministère de l’Interueur, via le Centre gabonais des élections (CGE), le nouvel organe chargé de l’organisation des consultations électorales.

La ville baigne dans l’atonie. Le règne jugé mortifère d’Ali Bongo a brisé de nombreux rêves. Les Gabonais ne souhaitent qu’une chose: sortir de ce qu’ils considèrent comme un cauchemar. En effet, Ali Bongo a détruit notre pays. On ne vit plus ici, on survit. Aucun secteur de l’économie ne marche encore. Tout le monde quitte le pays,  » se lamente Sylvie, une fonctionnaire de 37 ans.

La santé du despote reste un sujet sensible au Gabon. 

Les Gabonais s’accrochent à la moindre bride d’information à même de rallumer l’espoir de l’alternance tant attendue. Depuis une semaine, des rumeurs insistantes font état de la dégradation de l’état de santé du dictateur gabonais, Ali Bongo. L’annulation in extremis d’un voyage prévu samedi dernier au Mali et l’absence du despote au sommet sur la planète organisé à New-York ne sont pas pour mettre le holà à ces rumeurs.

La santé du dictateur est un sujet tabou à Libreville 

Le sujet est très sensible et les collaborateurs du rais l’esquivent à la moindre évocation. Seuls les activistes en parlent sur les réseaux sociaux. De fait, il règne une ambiance fin de règne à Libreville, voire dans le reste du pays. Nombreux restent suspendus à l’espoir de voir le dictateur succomber au diabète aigu dont il souffre depuis plusieurs années.  » On ne se réjouit pas de la mort de quelqu’un mais ce sera la délivrance, » estime André, un jeune enseignant privé de son salaire depuis deux ans.

Depuis 50 ans, le Gabon est dirigé par une famille, celle d’Omar Bongo, qui a tenu les rênes du pays 42 ans durant. Son successeur de fils adoptif, Ali Bongo, tente de perpétuer la dynastie. Mais son mode de gouvernance et les voies utilisées ne garantissent pas la perpétuation du système clanique. Le décor apocalyptique n’a pas changé.

Malgré les manœuvres orchestrées par Ali Bongo pour se maintenir à la tête du pays et passer ensuite le témoin à un membre de sa lignée, le règne de sa famille tire inexorablement à sa fin. Depuis le putsch militaro électoral du 31 août 2016, le navire Bongo est au creux de la vague et vogue droit vers un rocher à même de le désintégrer.

La crise financière résultant de la gabegie apparaît comme un fardeau de plus dans un bateau déjà surchargé. La vie quotidienne au Gabon est pleine de problèmes concrets qui ont déjà transformé l’existence des Gabonais en un enfer terrestre. Ces difficultés existentielles sont beaucoup plus pressantes pour les masses que la révision constitutionnelle dont la finalité n’est que le maintien au pouvoir d’un homme et sa famille qui ont considérablement ruiné le pays.

De nombreux Gabonais souhaitent le pire au despote à l’origine de leurs malheurs. 

Une frange de l’opposition se prépare activement à participer à accompagner Ali Bongo dans son imposture et sa forfaiture mais le peuple désabusé n’y semble pas disposé. Tout comme l’opposant Jean Ping, le vrai vainqueur de l’élection présidentielle du 27 août 2016, qui n’a pas reculé. Il continue à taper sur le même clou, exigeant le respect de la souveraineté du peuple gabonais exprimé dans les urnes lors du scrutin présidentiel qu’il a démocratiquement remporté.

 

Les Gabonais souhaitent le pire au despote.

Pour l’opposition radicale, les élections législatives et locales jumelées du 6 octobre prochain ne visent qu’à légitimer l’imposture d’Ali Bongo. Toute participation  à ces élections serait une caution morale. Les plus radicaux vont jusqu’à proposer la méthode forte pour faire partir le tyran du pouvoir. Mais  la population ne suit plus en masse les appels à la mobilisation de l’opposition. Ces derniers mois, les manifestants n’ont pas réussi à se joindre et former un cortège imparable pour aller déguerpir le squatter du palais présidentiel.

Le fait que la population ne suive pas massivement les appels à la mobilisation signifierait-il qu’elle se résigne finalement à l’imposture ? Rien n’est moins sûr. De nombreux analystes pensent que les Gabonais  répondront massivement au seul appel de la misère dans laquelle l’oligarchie en place les précipite chaque jour. « Lorsque le pays sera en situation de cessation de paiement, plus personne n’osera rester calme. Les gens investiront la rue pour faire partir Ali Bongo et son clan qui ont ruiné le pays. Les militaires rejoindront le peuple », prédit un membre de la société civile.

Conscient des dégâts de sa politique, Ali Bongo opte pour une succession dynastique afin d’éviter d’éventuelles représailles.  C’est ainsi qu’il prépare déjà son fils Nourredine Bongo pour lui succéder à la tête du pays. Mais cette transmission dynastique du pouvoir risque de faire chavirer le navire des Bongo, car même des membres du sérail présidentiel n’y sont pas favorables.  Si l’alternance à la tête de l’État signifie un changement d’une personne pour la remplacer par une autre personne de la même famille, les Gabonais seront fondés de se soulever pour détruire tout le système clanique.

Sur quoi Ali Bongo compte-t-il alors pour réussir à se maintenir ad vitam aeternam au pouvoir ? Quelles que soient les qualités d’un certain nombre de chefs d’Etat, à un moment donné, il y a l’usure du pouvoir. Mobutu au Congo, Ben Ali en Tunisie ou Moubarak en Egypte en sont une parfaite illustration. Tous ont été pendant plusieurs décennies des alliés majeurs des puissances occidentales et de leurs intérêts économiques. Mais tous sont arrivés au point de rupture, où ils n’étaient plus capables de contrôler leur peuple et gérer leur pays au seul profit des multinationales et des intérêts géostratégiques occidentaux. Tous ont dû partir.

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