Cher fatigué sévère,
Vous êtes encore là ? Allô ! Vous m’entendez ? Vous n’êtes pas sourd ? Vous respirez ? Vous êtes vivant ? Vous arrivez à remuer vos doigts ? Vous parlez ? Vous lisez les journaux ? Vos méninges fonctionnent-elles ? Vous avez disparu de nos radars. Dites-nous la vérité. Faites-vous encore partie de nous ou êtes-vous déjà passé à l’autre côté du monde ? Répondez-nous, je vous en prie ! Malgré votre méchanceté à notre égard, nous ne souhaitons pas qu’un malheur vous soit arrivé. Nous avons fini par vous accepter tel que vous êtes. « Le macaque ne trouve pas son enfant laid », disait mon grand-père.
Allô ! Vous êtes encore là ? Vous avez le don de brouiller les pistes, de désavouer les prédictions des croque-morts. Vous êtes un peu fantôme, un peu épouvantail. Comment voulez-vous continuer de diriger les affaires du pays alors que vous êtes devenu valétudinaire et invisible ? Allô ! Dites quelque chose, Monsieur le… président ! Il est si long votre mutisme qu’il alimente les soupçons. Chacun y va de sa satire. Êtes-vous un revenant ou un moribond qui refuse de partir ? Faites signe de vie, je vous en prie ! Prévenez les garde-chiourmes. Où êtes-vous passé ? Qu’êtes-vous devenu ? Manifestez-vous. Si vous faites le mort, tant pis pour vous ! Mon papy disait : « Si quelqu’un fait semblant de mourir, il faut faire semblant de l’enterrer.»
Allô ! Où êtes-vous, Monsieur le…fatigué sévère ? Le peuple gabonais vous cherche depuis deux semaines déjà. Vous êtes encore là ? Que faites-vous de vos jours et nuits ? Vous regardez-vous dans la glace ? Vous n’êtes plus qu’un un roitelet en fin de règne. De grâce, ne mourez pas au trône ! Les vautours ont soif, les sangliers ont faim, les sauterelles sont en chaleur. Sortez par la porte ou la lucarne ou la cheminée car demain, si vous êtes encore là, vous risquerez de couler dans l’oued fangeux de l’histoire. « C’est lorsque l’eau est encore au niveau de la cheville qu’on doit quitter une rivière qui entre en crue », me prévenait mon papy, grand pêcheur de son époque.
Allô ! Vous êtes encore en vie, Monsieur le…fatigué sévère ? Toujours entouré de vos ouailles ? De votre frère Frédéric Bongo, de votre épouse Sylvia, de votre fils Nourredine, de votre horde de laquais et de majordomes ? Tous accrochés au trône, comme des puces à une bourrique en agonie ! Que restera-t-il de votre règne quand vous aurez tiré votre révérence ? Un nuage de cendre, une clôture de barbelés, un nid de scorpions, des postillons, des pieds encrottés, des mains maculées de sang ? Voyez-vous, vous ne laisserez pas une image reluisante de vous. A cette allure, le peuple n’éprouvera pas du chagrin. Mon grand-père m’expliquait que « lorsque l’épervier meurt, la poule ne pleure pas. »
Allô ! Avez-vous encore vos facultés auditives ? Si vous m’entendez encore, sachez que vous avez fait du Gabon un amuse-galerie. Une république bananière. Une ratatouille explosive. Un mélange de stalinisme et de libéralisme sauvage, le tout cuit dans les lois liberticides. Vous avez excellé dans l’arbitraire. Les résultats de la politique qui est menée sous votre parrainage sont, à tout le moins, loin de répondre aux attentes légitimes des Gabonais. C’était prévisible parce que vous n’avez pas ni les qualités ni l’étoffe d’un chef, malgré votre forte corpulence. « Tous les tambours ne donnent pas un bon son », disait mon papy.
Vous avez accompli, dans ce pays, ce que vous pensiez être le plus indiqué, en fonction de vos convictions. Vos choix politiques, votre vision et votre conduite auront marqué positivement ou négativement le Gabon. L’histoire jugera de leur justesse ou non, de leur opportunité et de leurs conséquences. En retour, le pays vous aura fait l’honneur de vous offrir le sacre et d’accepter, sans broncher, vos politiques durant près de neuf années. Mais, dans la vie, tout a une fin. Le moment est donc venu de rendre à la nation ce qui lui appartient. « Le crapaud et tout ce qui est dans son ventre appartiennent au martin-pêcheur », disait mon papy, grand ornithologue de son époque.
Huit années sont raisonnablement suffisantes pour qu’un homme accomplisse son œuvre et satisfasse ses ambitions. Allô ! Vous m’entendez ? Votre dramatique état de santé, vous commandent de ne plus vous occuper des charges de l’Etat bien trop lourdes. A n’en pas douter, votre retour aux affaires après la dégradation de votre santé, serait un calvaire pour vous et pour le Gabon. C’est donc en toute conscience que nous vous interpellons en faveur de la seule et unique décision qui puisse ouvrir une ère nouvelle pour le pays, où l’intérêt général sera mis au-dessus de l’intérêt des hommes : votre renoncement au pouvoir. Mon grand-père disait : « Qui refuse de traverser la rivière ne se noie pas. »
Monsieur, vous êtes encore là ? Allô ! Vous me recevez ? Si vous êtes encore de ce monde, refusez de suivre la déraison, les peurs et les instincts égoïstes de ceux qui vous entourent. Ouvrez la voie à un changement pacifique. Le Gabon attend de vous cette sage décision. C’est à cette seule condition que le pays renouera avec l’espoir et s’engagera alors dans une transition pour construire des institutions légitimes et solides. C’est le préalable pour ériger l’Etat de droit et la démocratie, seul objectif à même d’assurer la paix et la prospérité pour les générations à venir. Allô ! Vous êtes toujours là ? Ecoutez nos conseils avant qu’il ne soit trop tard. « Qui refuse d’écouter les vivants entendra la voix des morts », aimait à dire mon aïeul, grand oracle de son époque.
Jonas MOULENDA