Monsieur le Président,
Cher citoyen de l’au-delà,
C’est parce qu’il est permis de parler aux morts dans nos sociétés africaines que je me permets de m’adresser à vous pour la première fois depuis que vous vous êtes retiré des affaires et de la scène du monde, le 8 juin 2009. C’est parce que la situation de notre pays est grave que je vous écrit cette lettre posthume à l’occasion du 10 è anniversaire de votre mort. « Si tu vois le poisson sortir de l’eau, c’est qu’il fait chaud là-dedans », disait mon grand-père.
Cela fait dix ans que vous êtes parti pour le grand voyage d’où on ne revient pas. Il n’y pas un jour où les Gabonais ne pensent pas à vous. Pas parce que vous aurez laissé un vide difficile à combler mais plutôt parce que vous nous avez laissé un lourd héritage : Ali Bongo, l’enfant que votre ex-épouse Josephine Kama et vous avez adopté. Nous nous sommes habitués à votre absence, mais nous avons du mal à nous accommoder de la dictature qu’il a installée. Beaucoup de Gabonais quittent le pays parce qu’il l’a transformé en pandémonium. C’est compréhensible dans une large mesure. Mon aïeul disait: « Le moustique n’aime pas les endroits où on bat les mains. »
Je ne vous en veux pas pour le mauvais choix de votre successeur. Je prie plutôt Dieu pour qu’il vous pardonne de nous avoir laissé un monstre impitoyable. Il fait des dégâts énormes chaque jour. En dix ans, le Gabon est tombé de Charybde en Scylla. Vous arrive-t-il de le conseiller même en rêve ? Mais nous ne sommes pas fiers d’Ali ! Si cela était possible, les Gabonais auraient demandé à Dieu de le prendre et de nous rendre André Mba Obame ou Pierre Mamboundou. Il est si mesquin qu’il n’arrive pas à enlever le souvenir de ces grands leaders dans nos esprits. « Les traces de l’antilope n’effacent pas celles de l’éléphant », disait mon aïeul.
Monsieur le Président, est-ce vous vous retournez parfois pour regarder d’où vous venez et voir le gâchis orchestré par votre fils adoptif ? Au fil des ans, il a délibérément terni l’image de votre famille et souillé votre mémoire. Est-ce que son mode de gouvernance émane-t-il de votre école politique ? Son talent de dictateur a-t-il quelque chose à voir avec l’éducation qu’il a reçue ? Mais il ne fera pas long feu s’il s’écarte de la voie que vous avez tracée. « Si le petit de l’antilope quitte sa mère, sa peau finit sur le tam-tam », m’expliquait mon papy.
Ali prouve qu’il n’est pas votre fils biologique
Votre rejeton pose problème, Monsieur le Président. C’est pourquoi les Gabonais jugent utile de reprendre la parole à titre posthume après l’avoir tant prise de votre vivant. Ils ne vont plus observer le silence qu’ils ont observé depuis votre disparition. Ce monstre politique c’est vous qui l’avez créé. Vous n’auriez pas dû le nommer au poste de ministre de la Défense nationale. Car, ce poste le prédisposait à la prise du pouvoir. Al Mutanabbi a dit : « Chaque fois que le temps a fait croître le bâton, au bout du bâton, l’homme a mis la lance. »
Dans ses appétits insatiables du pouvoir, il ne se gêne pas d’éliminer physiquement tous les empêcheurs de tourner en rond. Pour se maintenir au pouvoir, il a massacré des centaines des Gabonais au soir de l’élection présidentielle du 27 août dernier. De qui tient-il cette méchanceté gratuite ? De votre vivant, vous ne procédiez pas de la sorte. Vous privilégiez plutôt le dialogue. A travers ses agissements péremptoires, il prouve chaque jour qu’il n’est pas votre fils biologique. Si tel était le cas, il n’aurait pas une telle idiosyncrasie. « Ce qui vole ne donne pas ce qui rampe », observait mon grand-père.

Ali Bongo massacre son peuple.
Vous nous avez laissé un enfant maudit ! Ali n’écoute personne ! Il est tellement enivré par le pouvoir qu’il oublie que tout se termine un jour ou l’autre. C’est peut-être l’une des vérités les plus fascinantes que je vous prie de lui transmettre même dans un rêve. Rappelez-lui que les étoiles meurent, les galaxies meurent, les planètes meurent. Et les gens meurent aussi ! Le jour où je vous ai vu partir, j’ai abandonné ce qui restait de ma peur de la mort. J’avais compris que la vie était rien et qu’il est inutile de faire du mal à autrui pour des biens périssables. « L’homme le plus riche en mourant n’emporte que son linceul », me rappelait mon grand-père.
Monsieur le Président, je ne vous ai pas écrit pour vous accabler mais au contraire, pour vous aider au moyen d’une délation aussi noble que désintéressée, en vous signalant l’erreur politique grave commise par vous lors de votre passage sur Terre. Elle a consisté en le choix pour le moins irresponsable de l’homme à gérer le Gabon tout à fait immature et imprudent. Votre rejeton n’était pas l’homme de la situation. Car, il n’a ni l’étoffe ni les qualités d’un chef. « On ne vend pas les anneaux d’or à celui qui n’a pas d’oreilles », aimait à dire mon aïeul.
Jonas MOULENDA